Date d'ajout : vendredi 04 décembre 2015
par Jean-Louis SCHLEGEL
REVUE : ÉTUDES, septembre 2000
On pouvait difficilement choisir meilleur titre pour un livre sur Nietzsche, dont on va célébrer le centième anniversaire de la mort en 2001. Il s'est lui-même désigné ainsi : l’intempestif. Et il est en effet dans l'histoire de la philosophie le déconcertant par excellence, on pourrait presque « traduire » : l'empêcheur de tourner en rond, Mais, pour autant, il ne prône pas le triomphe de l'irrationnel, selon l'image qu'ont tenté d'imposer des interprètes autour des années 68. P. Valadier montre au contraire, dans six chapitres pénétrants, appuyés sur une profonde connaissance des textes, la cohérence rationnelle, souvent paradoxale mais incontestable, de Nietzsche. Ceux qui le rangent parmi les défenseurs d'une sorte d'irrationalité de la pulsion de vivre, d'une libération sans retenue des instincts et des forces, donnent une vision trop simple, et finalement confortable, de Nietzsche. Il est plus fin que ces interprètes. Il sait, d'instinct, que l'inversion pure des valeurs existantes demeure une réaction, avec toute la négativité, voire la négation, de la vie que porte ce mot. Nietzsche change la perspective occidentale - de la raison, de la science, de la religion, du droit, du temps. Il les déplace et dérange leurs fausses certitudes, leurs puissances mortifères, bien plus qu'il ne les nie, dans ce style unique, ironique, ludique et mordant qui fait partie, intrinsèquement de sa philosophie. Son « gai savoir » à lui, qu'il oppose aux valeurs platoniciennes et chrétiennes, est fait d'affirmation et d'accueil généreux de ce qui vient, et non d'exaltation débridée du non-sens, de la dérision et de la transe.