Date d'ajout : mercredi 23 décembre 2015
par Thomas DE KONINCK
Figure remarquable de la vie intellectuelle et politique de la première moitié du XVIIe siècle, Pierre Chanut, diplomate auvergnat, ami de Descartes et proche de la reine Christine de Suède, avec lesquels il constitua un trio philosophique, fut considéré comme « un des plus grands politiques et des plus honnêtes hommes » de son siècle.
Cet esprit cultivé qui était en relation avec les milieux scientifiques, philosophiques et littéraires avait été remarqué par Richelieu puis nommé par Mazarin Résident auprès de la reine Christine. Par sa compétence et ses qualités intellectuelles et spirituelles, il se fit apprécier de la jeune reine qui le consulta sur de multiples sujets spéculatifs et dont il devint le confident. Il l'introduisit à la pensée de son ami Descartes et fit tant qu'elle l'invita à Stockholm. Il tint largement le rôle de distributeur de savoir par ses entretiens avec les premiers personnages de la Cour auprès desquels il s'avéra un promoteur de la pensée de son ami. Plus tard, revenu de ses ambassades en Suède, en Allemagne et en Hollande, Chanut qui avait conservé des relations avec la reine exilée à Rome, lui fut dépêché après l'incident de Fontainebleau.
Cet ouvrage apporte un éclairage documenté grâce à des correspondances inédites - notamment les dépêches diplomatiques de Chanut et des manuscrits de la reine Christine - sur les figures de ces personnages inégalement connus et dont la relation a commandé des décisions et des créations capitales. Il établit le rôle déterminant de Chanut comme négociateur et comme intermédiaire, figure de diplomate-philosophe. En relisant dans cette perspective les correspondances de Descartes avec le diplomate et la princesse, il souligne les relations croisées des membres du trio, leurs modalités et leurs conséquences. Si Chanut a été considéré à bon droit (par Clerselier, Baillet) comme le plus proche ami de Descartes, qui mourut dans ses bras, la conception de l'amitié selon le philosophe doit beaucoup à l'expérience de sa relation avec lui, en sa réciprocité inégale. Cette relation fut l'occasion de l'ultime rédaction des thèmes majeurs de la morale de Descartes, tels l'Amour, le Souverain Bien, la générosité, les relations de l'âme et du corps, etc., mais aussi de sa métaphysique : Dieu, le fini et l'infini.
Ces correspondances qui ne relèvent pas directement de l'exposé doctrinal, dont la préoccupation ne quitte pourtant jamais l'auteur soucieux d'être compris, et où se mêlent la confidence, la direction de conscience et l'expérience personnelle, constituent un commentaire du Traité des passions de l'âme. Descartes y apporta d'autant plus de soin qu'elles étaient destinées à une princesse régnante désireuse de savoir et d'agir. La logique existentielle du philosophe, sa recherche de la vérité, s'y conjuguent jusque dans la décision ultime du voyage en Suède, encouragée par Chanut, avec la visée de l'utilité, car « c'est ne valoir rien que de n'être utile à personne ».
Enfin la question de savoir dans quelle mesure Chanut et Descartes ont pu influencer la reine Christine dans sa double décision : son abdication et son abjuration, qui allait bientôt étonner l'Europe, trouve ici une explication mesurée.
Jean-François de Raymond complète ainsi le triptyque (La Reine et le Philosophe, Paris, Les Lettres modernes, 1993; puis CHRISTINE DE SUÈDE, Apologies, Paris, Cerf, 1994), qui éclaire la relation de ce trio philosophique remarquable. Pour la qualité de l'écriture, la finesse de l'analyse, l'érudition irréprochable qui les animent, l'apport de ces trois volumes à l'histoire des figures de la pensée philosophique aura été inestimable.