Date d'ajout : mardi 05 septembre 2017
par Joseph HUG
CHOISIR 315, MARS 1986
Une entreprise très ambitieuse, sous la direction de Charles Kannengiesser, jésuite, professeur de patrologie à l'Institut catholique de Paris : décrire la connaissance et l'usage de la Bible depuis les origines jusqu'à aujourd'hui! Un tel projet n'a pas de modèle dans le monde francophone. Dans le monde anglosaxon, la « Cambridge History of Bible » en trois volumes, parue en 1963, serait un ouvrage analogue, mais en plus petit.
Les deux premiers volumes parus sont consacrés au monde méditerranéen oriental durant les six premiers siècles et au monde occidental pendant le Moyen Age jusqu'au XVIe siècle. Une bonne quarantaine de spécialistes, laïcs et clercs, la plupart francophones, collaborent à ce vaste programme. Les articles, de cinq à vingt-cinq pages, sont destinés à un public cultivé. Dépouillés d'une érudition fastidieuse, ils sont souvent d'une lecture aisée.
Parmi les articles, tous intéressants, j'ai relevé l'étude de Marcel Borret sj, consacrée à la polémique anti-chrétienne du philosophe païen Celse, au IIIe siècle, contre laquelle le grand théologien Origène s'éleva. Il est frappant de voir à travers les siècles la permanence de la critique rationaliste contre la Bible, notamment contre la vie de Jésus et contre Paul. Certains arguments invoqués par Celse gardent une actualité étonnante.
La Bible a une dimension esthétique : elle inspire l'art chrétien. Je citerai ici l'étude magistrale de Nicole Thierry sur les fresques des églises rupestres de Cappadoce. Ce pays d'Anatolie, au paysage très tourmenté, forma un refuge pour des chrétiens du Proche Orient qui fuyaient les invasions arabes islamiques. Les fresques peintes sur les voûtes du rocher volcanique sont des chefs-d'œuvre.
Dans le second volume, j'ai été particulièrement intéressé par l'aperçu sur l'exégèse rabbinique d'Aryeh Graboïs de l'université de Haïfa. L'auteur montre que les différents sens de l'Écriture en usage dans le christianisme ancien et médiéval se retrouvent analogiquement dans la lecture juive. Par ailleurs, le non spécialiste découvre l'histoire passionnante des déplacements des maîtres, comme l'installation à Lucques, en Toscane, de la famille mésopotamienne des Calonymides, vers la fin du Ville siècle, puis l'arrivée, un siècle plus tard, d'un des membres de la famille à Worms, au bord du Rhin. On trouve là la trace de la famille et de l'école ashkénaze, tandis que l'école sépharade, connaissant l'arabe, demeura dans les pays musulmans (Afrique du Nord, Espagne). Ces deux branches se retrouvent encore dans le judaïsme moderne.
J'épinglerai enfin, de Pierre Riché, l'étude sur la Bible et la politique carolingienne. Les princes carolingiens se sont appuyés sur une idéologie royale puisée dans l'Ancien testament. Ils s'estimaient les successeurs des rois d'Israël et de Juda, en tout premier lieu de David. Par contre, des évêques, à la même époque, s'opposaient aux excès du pouvoir royal au nom des prophètes vétéro-testamentaires, instance critique de la monarchie israélite.
Projet démesuré, la « Bible de tous les temps » donne parfois l'impression du décousu et de l'inachevé, spécialement dans le premier tome et entre les deux volumes. Il aurait été intéressant d'ajouter une lecture politique de la Bible dans le monde grec ancien, comme pendant à l'excellente étude sur les Carolingiens. Loisir est laissé au lecteur patient de tisser lui-même des fils entre les époques!
La publication se poursuit avec diligence, avec la parution à l'automne 1985 du volume 2, consacré au monde latin antique, sous la direction de Jacques Fontaine et Charles Pietri, et celle du volume 8, le dernier, sous la direction de Claude Savart et Jean-Noël Aletti, traitant du monde contemporain. Les trois autres volumes sur les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles paraîtront en 1986 et 1987.