Date d'ajout : mardi 24 octobre 2017
par Jean GOUILLARD
REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS, 1981, 198
Cette revue annonçait dès 1946 la présence de deux inédits d'Origène parmi les papyrus mis au jour à Toura. J. Scherer nous a donné en 1960 L'Entretien d'Origène avec Héraclide. Les deux livres Sur la Pâque ont attendu vingt ans encore. Justifié par les difficultés de l'entreprise, ce retard est compensé, au-delà des espérances, par la qualité du résultat. Une analyse succincte ne donnera qu'une faible idée de la minutie en même temps que de la richesse d'une monographie à tous égards exemplaire.
Un premier volet est occupé par l'établissement du texte. L'étude paléographique et l'examen critique sont suivis d'une évaluation de la tradition indirecte, essentiellement les chaînes grecques et le commentaire de Procope de Gaza, précieuse pour amender ou restituer les leçons, en même temps qu'elle permet de remonter l'histoire et du texte et de la chaîne sur l'Octateuque.
Les auteurs situent ensuite l'œuvre dans le temps et dans le genre littéraire dont elle est tributaire. Incontestablement origénienne, composée autour de 245, elle se démarque des traités dérivés de Méliton, Apollinaire de Hiérapolis et Hippolyte par son interprétation du mot Pascha (« passage »), en opposition à l'hellénisation en « passion », avec toutes les conséquences qui en résultent pour l'intelligence d’Exode, 12. L'occasion du traité et sa division bipartite ont été fournies par l'ouvrage d'Hippolyte.
L'édition-traduction est précédée d'une analyse commentée, qui dégage l'originalité de l'exégèse par rapport aux devanciers : d'un côté, une lecture mystique de la Pâque-passage, de l'autre un déchiffrement apologétique de la passion du Christ dans la Pâque.
L'édition elle-même est d'une constante rigueur, qu'il s'agisse de corrections ou de restitutions. La traduction se tire avec bonheur d'une expression souvent elliptique. On la prendra rarement en défaut. Toutefois, p. 13, 5-6, « que nous soyons semblables aux prêtres » ne convainc pas ; le verbe ainsi rendu suggère une action de complément ou d'appoint plutôt qu'un état ; un rapprochement avec Grégoire de Nazianze (or. 45, 14), chez qui l'idée paraît rendue par synergos, pourrait éclairer le passage.
Je suis d'ailleurs enclin à penser que Grégoire a connu le traité d'Origène, qu'il utilise librement et en rhéteur. La première partie du discours, également divisé en deux volets, présente nombre d'analogies avec Origène. Entre une quinzaine, je n'en retiendrai que deux : le déchaussement de Moïse (§ 19 de Grégoire) et la cuisson à l'eau opposée au rôtissement (§ 16 de Grégoire, qui pourrait aider à la restitution du fragment mutilé).
Au mérite de nous proposer un brillant exercice philologique, O. Guéraud et P. Nautin ajoutent celui d'éclairer une des versions spirituelles les plus élaborées du « mystère » pascal dans l'Antiquité chrétienne, et de documenter telle position d'Origène comme la préexistence des âmes et leur chute dans l'ignorance.