Date d'ajout : mardi 23 mai 2017
par Michel ADAM
REVUE PHILOSOPHIQUE, juin 1974
Ce livre est une thèse de l'Université de Bordeaux. Son souci est double : permettre d'abord une approche de l'homme ainsi que de l'œuvre de Jean de la Croix ; ceci se trouve facilité par l'esquisse biographique située au début du volume; puis faire comprendre par-delà les faits la spiritualité de l'auteur. Cette spiritualité s'appuie sur une histoire, la marche de l'âme vers Dieu, qui s'effectue en trois étapes, l'état des commençants et la nuit des sens, l'état des avancés et la nuit de l'esprit, l'union qui comporte un progrès incessant. Cependant il ne s'agit pas de décrire à nouveau ce cheminement, mais de privilégier dans l'anthropologie sanjuaniste, ce qui a été peu fait jusqu'à présent, le rôle de la mémoire et de montrer comment se greffe sur sa purification la vertu théologale d'espérance. Étude de détail sans doute, mais qui ne se séparera jamais de l'essentiel.
Le monde écartèle l'homme dont la vocation est d'aller à Dieu, ou bien il apporte une fausse sécurité. Il faut donc accepter le détachement, c'est-à-dire la pauvreté qui nous libère. L'âme est tripartite: entendement, mémoire et volonté; cette distinction dépasse la formation thomiste, tout en retrouvant la tradition augustinienne, ainsi que le montre un appendice bien documenté. La mémoire est puissance de rappel, puissance de l'esprit. Il faudra vider la mémoire pour s'affranchir du monde. Les puissances sont faites pour Dieu, non en raison de ce qu'elles saisissent, mais en raison de leur dynamisme. La mémoire devra donc subir la nuit sensorielle, être mise au repos, après avoir été vidée de tout le naturel et de tout le surnaturel extraordinaire. Ce dépouillement sera à la fois actif, comme effort de libération, et passif, comme investissement de l'âme par Dieu. Ainsi Dieu a besoin de l'initiative de l'homme, qui ne peut rien cependant sans l'action de Dieu. La nuit de la mémoire est à la fois souffrance et lucidité, mais son retournement psychologique permet la purification. Ce n'est pas une diminution de l'âme, mais l'accès possible à Dieu. La mystique sanjuaniste n'est pas une mystique du rien, mais une mystique du tout.
A la différence de l'espoir qui vise les biens créés, l'espérance recherche Dieu. Elle prolonge donc la purification. Dans la solitude et le silence, elle est appel de l'infini ; elle vise ainsi à combler l'âme. On retrouvera la mémoire - alors qu'elle n'est plus que puissance spirituelle pour Dieu avec son nom de mémoire, ce qui ne manque pas d'étonner. Mais voir et posséder sont identiques. Comme la mémoire est la faculté qui possède, c'est en elle que Dieu pourra se manifester. L'espérance aide à vider la mémoire, et elle oriente vers Dieu. La mémoire entre de cette façon en communication avec Dieu. La nuit a permis à l'esprit de se situer en Dieu. L'espérance est la vertu du mouvement ; la pauvreté a dépossédé la mémoire des faux biens et lui a permis de s'unir à Dieu.
Mémoire et espérance ne sont pas les seules voies pour obtenir l'union à Dieu. Les cheminements par la foi et la charité sont plus habituels. Mais cette étude a voulu se pencher sur la voie la plus originale et la plus controversée. On appréciera la parfaite connaissance des textes sanjuanistes, mais aussi l'établissement de rapports judicieux avec d'autres pensées de type religieux ou philosophique. Signalons enfin l'apport d'analyses du texte espagnol qui se révéleront utiles pour la compréhension de l'auteur étudié.