Date d'ajout : vendredi 04 décembre 2015
par BULLETIN CRITIQUE DU LIVRE FRAN�AIS, septembre 2000
Nietzsche penche-t-il du côté de l'irrationalisme et de l'exaltation du non-sens, ou du côté de la célébration de la luxuriance du réel et du divin ? En 2000, année de commémoration des travaux du penseur autour duquel se font et se défont des modes depuis quelques décennies, chacun y va de son interprétation, laissant le moins de place possible aux autres. Dans cet ouvrage composé, pour partie, d'articles déjà publiés dans des revues ou des livres théologiques, l'hypothèse de lecture de Paul Valadier est qu'il est impossible de faire entrer Nietzsche dans la catégorie de l'exaltation de l'irrationnel, dans une théorie du non-sens et dans un refus délibéré de l'exercice de la raison. Il affirme même, contre les déconstructionnistes et les postmodemes, que Nietzsche ne veut ni ignorer ni humilier la raison. En d'autres termes, le « Nietzsche » de Valadier ouvre la perspective d'un « gai savoir » et d'une restauration de la raison (approche démystifiée de la réalité, regard dépouillé d'illusions). À dire vrai, il y a ici équivoque sur la notion de raison. Il y en a cependant moins à propos du fil conducteur selon lequel Nietzsche veut nous apprendre à dire oui à ce qui est et à ne plus avoir peur, mais sans doute Valadier tire-t-il alors le philosophe vers des voies plus proches de ses propres travaux (le « gai message » du Christ), puisqu'il cherche à nous faire croire que Nietzsche veut « nous arracher aux sortilèges de l'emprise avaricieuse sur le monde », formule à sens multiples, sinon à présupposé religieux. Cette lecture ne cesse de prodiguer des formules de ce type, puisque Nietzsche y devient le philosophe d'un « monde qui est en effet à jamais insaisissable en sa profondeur abyssale ». Au demeurant, l'ouvrage est sérieux, bien documenté, au fait des conflits d'interprétation autour de Nietzsche, et fort bien mené. Les textes du philosophe sont excellemment cités (quoique le champ d'exploration soit restreint), sous réserve d'accepter celte interprétation qui parvient, paradoxalement, grâce à Nietzsche lui-même, à restaurer le sens du divin en l'homme, quoique « par-delà la religion ». Le style de Valadier donne de la souplesse à cet ouvrage, qui ne constituera pas pour autant une introduction aux œuvres du philosophe ; il s'agit plutôt d'un commentaire interprétatif (portant sur la raison, la science, le droit et le christianisme chez Nietzsche).