Date d'ajout : dimanche 20 septembre 2015
par Robert PERROUD
REVUE : L'AMI DU PEUPLE, août 1999
Les prises de position de l'Église catholique, au temps du régime de Vichy, ont fait et font couler beaucoup d'encre. Presque jamais sans passion. Le livre de Jean-Louis Clément, maître de conférences à l'Université Robert Schuman de Strasbourg, qui vient de paraître est, au contraire, une étude d'historien sereine et fiable. Sa qualité essentielle est en effet d'être documenté avec une grande précision dans la mesure où la documentation est accessible car une partie reste encore hors de la portée des chercheurs. Le professeur Clément restitue avec vérité l'atmosphère historique des années d'occupation, les conditions dans lesquelles s'est trouvée la France, sous le choc du désastre de 1940, puis dans les années qui ont suivi, sous la pression et dans l'isolement croissant auxquels la condamnaient la présence des occupants et le zèle des partisans de la « écollaboration ». Cela ne va pas sans mérite, de la part d'un auteur qui n'a pas de souvenirs personnels de l'époque en question (Il est né en 1955) et doit s'en remettre à des témoignages très contrastés.
Entre autres, il donne comme fond de scène à son récit le rôle politique de Philippe Pétain : jusqu'à quel point et pendant combien de temps le vieux maréchal fut le maître du jeu et comment, peu à peu, ce rôle lui échappa. Et de même, en face, il analyse la difficile position de la haute hiérarchie ecclésiastique : et comment, bien qu'amarrée à des principes fixes, celle position subit une certaine évolution.
En effet, le jeu politique des prélats était conditionné par une doctrine des rapports de l'Église avec les pouvoirs constitués : une doctrine à laquelle d'ailleurs, certains, par exemple les démocrates chrétiens, opposaient d'autres théories. Notre auteur montre fort justement que cette doctrine n'a pas été improvisée à la suite de la création de l'État français mais qu'elle était déjà professée à l'égard des gouvernements de la IIIe République par la hiérarchie laquelle manifestait ainsi une ferme continuité : c'est ce qu'exprime la formule du « loyalisme sans inféodation ». Certes, les sentiments individuels de tel ou tel cardinal ou archevêque, vis-à-vis de la personnalité du Maréchal, et ceux éprouvés envers son gouvernement ont pu s'infléchir avec les événements ; certes aussi, telle ou telle (rare) personnalité a pu avoir un jugement et des attitudes à part : comme ce fut le cas du recteur de l'Institut catholique de Paris, le prestigieux Cardinal Baudrillart, que son obsession du bolchévisme conduisit très rapidement à la collaboration avec les nazis malgré quelques doutes tardifs (Je rappelle que ses carnets de 1914-18 et 35-39 ont été publiés en 1994, puis, en 1996, par les éditions du Cerf ; ceux de 41-42 paraissent actuellement, chez le même éditeur). Mais, dans son ensemble ; l'Assemblée des Cardinaux, Archevêques et Évêques n'a pas changé de conduite dans ce qu'elle considérait comme son devoir, de participer à l'effort patriotique du pays dans la détresse. Elle n'a pas ralenti sa sollicitude vis-à-vis de la population et de ses problèmes ; elle a gardé ses distances vis-à-vis de leurs avances ou, au contraire, de leurs dérobades ; elle a condamné fermement, entre autres, les violences antisémites et celles de la déportation massive de main-d'œuvre en Allemagne (le S.T.O.).
Un détail cependant : le professeur Clément affirme que les réfractaires au S.T.O. « rompaient avec la légalité de Vichy mais ne rejoignaient pas le maquis » : cela n'est-il pas inexact ? La population des maquis s'est beaucoup accrue à cause du S.T.O. et on pourrait citer un chant de maquis, dont le refrain est, tout simplement : « Marchons, les réfractaires ! ». On lira donc, avec un grand intérêt, cette tranche de l'histoire douloureuse de notre pays sous l'occupation. Une histoire qui se divise, grosso modo, en deux parties séparées, en novembre 1942, par l'invasion de la zone dite « libre », qui entraîna une nette aggravation de la situation générale.