Date d'ajout : vendredi 04 décembre 2015
par Pierre BENOIT
REVUE : REVUE PHILOSOPHIQUE, 1, 2003
Ce recueil d'articles est fort éloigné de la juxtaposition ou de la rhapsodie de circonstance. L'unité qui s'en dégage est de l'ordre de la rectification des préjugés que l'œuvre de Nietzsche suscite à première lecture. Ainsi, le premier chapitre, « Maladie du sens et gai savoir », revient sur l'irrationalisme supposé de celui qui n'est pas toujours considéré comme un philosophe authentique, afin de montrer qu'une « restauration de la raison » est au cœur de son projet. Cette expression ne désigne naturellement aucun « retour » au sens propre, mais bien plutôt l'effectuation du « dire oui », c'est-à-dire l'acceptation de la finitude humaine, intégrée dans l'ordre d'un « gai savoir ». Cet axe de lecture permet d'interpréter la volonté de puissance comme capacité à admettre l'invincible altérité du non-maîtrisable. Le deuxième chapitre, « La science, nouvelle religion », permet d'éviter la simplification d'après laquelle Nietzsche, en positiviste, proposerait de substituer celle-là à celle-ci. Le regard généalogique débusque en effet une paradoxale origine commune à ces deux attitudes face à la vie : la volonté faible qui veut la vérité à tout prix. Ce débat classique est l'occasion pour Paul Valadier d'apporter sa pierre à la définition de la « généalogie » en insistant sur le fait qu'elle ne peut identifier de « volonté pure, ni dans le sens de la faiblesse ni dans celui de la maîtrise » (p. 32). Le troisième chapitre, « Raison décadente et raison restaurée », propose une lecture patiente et minutieuse d'un paragraphe posthume où Nietzsche examine les apories de la raison. Paul Valadier en déduit la spécificité de la raison nietzschéenne, éloignée de la volonté faible de dominer la totalité du réel, respectueuse de la distance et soucieuse d'accueil, plus que de normativité pré-donnée. Le quatrième chapitre, « Nietzsche et la noblesse du droit », déplace le reproche d'aristocratisme si souvent fait à Nietzsche : c'est parce qu'il faut laisser être l'altérité, dans l'ordre du respect et de la pudeur, qu'il convient d'assimiler l'égalitarisme à l'esprit de vengeance. Le cinquième chapitre, « Nietzsche et le christianisme », contre les interprétations de Löwith et Heidegger, fait de la confrontation avec cette religion l'une des clés de la compréhension de l'œuvre de Nietzsche : lutter contre ce type de rapport au monde ne signifie pas l'enfermement dans le plan de la phénoménalité, car c'est au réel « en sa profondeur chaotique et proprement divine » (p. 73) qu'il convient de revenir, ce que récapitule la figure de Dionysos. Le dernier chapitre, « L'éternel retour », présente cette thématique comme une relation d'amour à l'éternité et non comme une doctrine cosmologique, après une étude détaillée des principaux textes où cette expression très difficile apparaît. Paul Valadier interprète alors l'éternel retour comme acquiescement à Dionysos.
On l'aura compris : ce livre bref fourmille de pistes stimulantes et de définitions à la fois utiles et problématiques des grandes notions nietzschéennes.