Date d'ajout : mercredi 19 août 2015
par D. VIGNE
REVUE : BLE CI, 2000
À plus d'un titre, ce livre appelle à une lecture attentive, et quelque peu dérangeante. Par sa forme, tout d'abord : historien de formation, l'auteur a procédé à des recherches fouillées dont les résultats sont abondamment cités dans le texte, mais rendent celui-ci quelque peu touffu. Les idées générales côtoient les hypothèses particulières, les lignes directrices du propos s'entrecroisent avec les nombreux (et très intéressants) exemples, d'une façon qui met ceux-ci trop peu en valeur. Sans doute aurait-il fallu distinguer davantage le travail sur les sources et les conclusions qu'on pouvait en tirer. Dans le même sens, on regrette l'absence de sous-titres à l'intérieur des chapitres, et d'une table des matières détaillée.
Cette critique étant faite, le contenu du livre est, pour le dire d'un mot, d'un intérêt exceptionnel. L'auteur y renouvelle la connaissance de l'histoire de l'Église syrienne dans ses rapports avec le mouvement monastique, depuis les débuts de ce mouvement en Syrie dans les années 360, jusqu'à son hégémonie au VIIe siècle. Aucune étude n'avait décrit avec autant de précision le processus paradoxal et conflictuel qui transforma les moines en clercs, les renonçants en maîtres, les priants solitaires en chefs du troupeau. Frappante dérive : tout en gardant des traits inspirés et authentiques, le renoncement ascétique devient instrument de pouvoir, l'apatheia débouche sur des affrontements passionnés. "Les moines syriens se caractérisent autant par leur violence envers eux-mêmes que par leur violence envers les autres", note l'auteur, qui se propose d'étudier ici, sans la majorer, "la réalité de l'excès ascétique" (p. 1).
De nouveau - mais sur un tout autre plan, indépendant de l'auteur - on ne pourra s'empêcher d'éprouver une certaine perplexité à la lecture de ce livre. En effet, que les formes les plus radicales de la vie spirituelle soient occasion de rivalités navrantes, que les charismes les plus éclatants soient mêlés à des motifs "trop humains", tout chrétien est amené à le constater. Mais que le destin d'une Église entière en ait été marqué, que le christianisme antiochien soit sorti ruiné de ces querelles ecclésiastiques, oblige à une réflexion sérieuse. Plus encore que sa dislocation en divers patriarcats (on sait qu'au moins six Églises se partagent aujourd'hui l'héritage d'Antioche), c'est le déséquilibre interne entre états de vie et ministères, entre laïcs, moines et clercs qui est ici en question.
L’''excès ascétique" a fait perdre à cette communauté des Fils du Pacte, selon le nom qu'on y donnait aux chrétiens dans les premiers siècles, à la fois son unité et son originalité. Complétant les études de Burkitt, Festugière, Vööbus et d'autres, le travail de P. Escolan sur le monachisme syrien doit être connu. Avec précision et compétence, il éclaire l'histoire d'une Église peu connue, mais passionnante, et dont la trajectoire pourrait éclairer le destin d'autres communautés ecclésiales.