Date d'ajout : vendredi 22 janvier 2016
par Jacques DUPUIS
REVUE : GREGORIANUM, 4, 1998
Pierre Nautin, décédé en février 1997, est bien connu pour de nombreuses études patristiques et pour l'édition de nombreux textes des Pères. L'ouvrage dont on fait ici le compte-rendu est publié de façon posthume par Gilles Dorival. L'auteur n'avait pas eu le temps d'achever son livre ; les dernières parties existaient à l'état de fragments manuscrits qui ont été « déchiffrés laborieusement », nous dit l'Avant-Propos. L'œuvre est donc restée incomplète ; elle est publiée telle quelle, en respectant la rédaction telle que l'auteur l'avait laissée. P. Nautin applique ici à la difficile entreprise de la « retrouvaille » de l'Évangile primitif, à partir des sources dont dispose la critique, la méthode qu'il appliqua ailleurs à ses travaux patristiques. Les mêmes grandes caractéristiques de sa méthode reparaissent ici dans l'analyse des documents anciens. Le but de P. Nautin était d'établir le noyau primitif des évangiles synoptiques en les passant au crible de la méthode historique et littéraire.
L'ouvrage était destiné par P. Nautin à un large public, intéressé par la question de Jésus et des Évangiles. N'empêche que les spécialistes pourront en faire leur profit. L'étude permet de conclure que le temps est fini de l'hypothèse de la rédaction d'un « proto-Marc » et éclaire d'un jour nouveau celle de la « Source Q ». La thèse exposée par l'auteur est que non seulement les évangiles synoptiques dépendent d'un Évangile primitif dont il établit le contenu, mais l'auteur de cet Évangile s'appuie lui-même sur une collection de « quinze dits » authentiques de Jésus, donnant ainsi accès direct à son enseignement. Les deux stades de la recherche aboutissent à des résultats dont on ne peut méconnaître l'intérêt considérable. L'Évangile primitif est fait presqu'exclusivement d'enseignements par mode de dits proverbiaux et de paraboles ; l’entrée en masse des signes et miracles dans la composition évangélique est un développement ultérieur qui caractérisera l'évangile de Marc, le premier évangile synoptique. Les quinze dits authentiques de Jésus, retrouvés dans leur forme originale, constituaient la partie centrale de l'Évangile primitif.
Dans une Postface anticipée à son livre, P. Nautin écrivait : « L'auteur de ce livre ne se croit pas infaillible (quelle sottise ce serait !), ni définitif. Il est au contraire tout à fait convaincu que d'autres viendront qui, montant sur ses épaules, verront plus loin et mieux que lui, car c'est la loi de la connaissance humaine » (p. 243). Il ajoute cependant : « La joie lui a été donnée, au soir de sa vie, une fois déblayées les alluvions et les scories accumulées pendant deux millénaires, de voir briller ce qui nous reste des paroles authentiques de Jésus. Et de partager ce trésor avec d'autres, hommes et femmes, qui l'auront aussi cherché » (p. 243-244). Laissons aux spécialistes le rôle de se prononcer sur les résultats de la recherche. Disons seulement ici l'intérêt que revêt pour le théologien la « retrouvaille » des paroles authentiques de Jésus dans toute leur fraicheur originelle.