Date d'ajout : mardi 16 mai 2017
par H. H.
BULLETIN DES LETTRE, septembre 1987
Connu principalement par les circonstances bizarres et tragiques de sa mort, Mgr Sibour fut surtout le théoricien et, ce qui est plus rare, le praticien d'une pensée catholique libérale. Inutile, donc, de souligner l'importance de ce travail qui, malgré quelques défauts secondaires - ton un peu scolaire, information trop étroite -, nous restitue l'homme de pensée et l'évêque; un évêque libéral.
Une biographie rapide met d'abord en place le personnage, depuis la fidélité à La Mennais, qu'il abandonne en 1832, jusqu'à J'archevêché de Paris, en passant par un canonicat à Nîmes et l'évêché de Digne.
Puis sont abordés les grands thèmes, ou plutôt les grandes convictions qui le guidèrent toute sa vie. Finalement, le fondement essentiel est dans la conscience aiguë que l'Église, l'État, la personne tirent leur existence et leur droit chacun d'une origine propre, qui ne doit rien aux deux autres. Chacun, donc, doit accomplir sa mission dans la plénitude de ses droits et le respect des autres. Qui détient l'autorité - Pape, évêque, gouvernement - doit l'exercer pleinement, sans en rien abdiquer, dans le respect des institutions existantes, déléguant ses pouvoirs quand il le peut, s'entourant de conseils institués, reconnaissant à la conscience la liberté de ses choix. Logique avec lui-même, Mgr Sibour s'efforce de rendre vie aux officialités et aux chapitres cathédraux, et restaure les conciles provinciaux oubliés depuis deux siècles. Il s'oppose au contrôle de l'État dans la vie intérieure de l'Église et, du même mouvement, interdit à son clergé d'intervenir dans les conflits politiques. Républicain de cœur et de raison, il adhère cependant à l'Empire, sans doute par respect du pouvoir établi, ... ou qui s'établit. Logiquement encore, il veille à ce que la personne des prêtres soit respectée, notamment, que l'amovibilité des desservants ne tourne pas à la brimade désinvolte. Coordination des œuvres charitables, éducation religieuse, réconciliation de la science et de la foi furent l'objet de ses préoccupations constantes : toujours le souci des personnes et celui de la paix entre les deux cités.
On se doute qu'il ne plut pas à tout le monde. Il rencontra l'opposition dans son clergé - l'abbé Combalot se dressa bruyamment contre lui une année durant -, chez les laïcs - Veuillot fut son adversaire irréconciliable et Victor Hugo le pourfend dans Les Châtiments -, dans l'épiscopat - certains évêques publièrent même des lettres pastorales directement et explicitement dirigées contre les siennes -. En dépit de sa fidélité sans équivoque, Rome se défiait de lui.
Il est vrai que l'existence d'un catholique libéral dérange ceux pour qui « le libéralisme » est amoral, agnostique, voire athée dans son essence. Un Sibour est bien gênant : catholique au plus profond de son âme, libéral jusqu'à la moelle, il est l'un et l'autre, en parfaite cohérence, fondée sur une théologie implicite des relations entre le surnaturel et le naturel. Faut-il se résoudre à admettre que « le libéralisme » n'existe pas, mais seulement des libéraux ? Athées, agnostiques ou chrétiens ; monarchistes ou républicains ? Pourquoi pas, si l'essence de la pensée libérale est ailleurs.