Date d'ajout : lundi 02 novembre 2015
par BULLETIN CRITIQUE DU LIVRE FRAN�AIS, mai 1999
Comment concilier la profération de bouche avec l'exercice de l'intelligence et le mouvement du cœur (ore, corde et mente) ? Cette question se pose en notre temps : nombreux sont ceux de nos contemporains qui, s'interrogeant sur le renouveau des chemins de l'esprit et du cœur, portent une attention marquée aux supports et aux conditions de l'expérience religieuse. Dans cet ouvrage, Monique Brulin se propose d'explorer des éléments de réponse apportés à la question posée dans le cadre de la France du XVIIe siècle, principalement de la seconde moitié du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle. Pourquoi ce choix ? Parce qu'il s'agit d'un contexte de restauration catholique, où les décrets et canons du concile de Trente trouvent leur application, notamment, dans la réforme de l'épiscopat et du clergé paroissial appuyée par un immense effort de formation (séminaires, catéchismes, missions), ainsi que dans le développement de la science liturgique grâce aux études historiques, philologiques, archéologiques. Cette époque connaît aussi une grande effervescence éditoriale : publication de traités et de commentaires à l'usage du clergé, des religieux et des laïcs ; on s'alimente à la tradition et aux écrits des Pères, et on recherche une meilleure connaissance du sujet humain et de son environnement, dans les sciences en général et, dans l'analyse des lois du langage, en particulier. Le parcours proposé pour cette exploration est le suivant : les éléments de la problématique sont rassemblés à partir d'ouvrages qui ont traité de la prière vocale dans des perspectives différentes : catéchismes ; traités d'approfondissement à l'usage de ceux qui sont chargés de l'office divin ; traités de formation à l'oraison en général et à l'oraison mentale en particulier. Ces textes sont ensuite confrontés avec ceux d'autres auteurs et d'autres ouvrages pour préciser et développer certains aspects majeurs de la question, comme l'examen de la gestion du rapport entre la manifestation extérieure de la foi et la vie intérieure de la foi. Ce rapport, éminemment ecclésiologique, est abordé, notamment, à partir des arguments qui s'affrontent dans la querelle quiétiste. De l'émergence du problème de la production du signe dans le lieu où s'atteste la foi, plusieurs composantes apparaissent, qui sont prises en compte : Quelle forme donner au lyrisme chrétien ? Quelles sont les caractéristiques nécessaires et suffisantes de la production du signe ? Quelle régulation opérer entre les manières de dire d'une société, d'une époque, et l'ethos vocal que l’on peut estimer congruent pour le culte chrétien ? Une conscience très vive du chant d'Église perçu comme un acte favorisant l'exercice de la vertu de religion, permet de redécouvrir à la fois l'opus operantis du chanteur et l'opus operantis ecclesiae dans la voix collective. D'où les diverses voies explorées par Monique Brulin : celle des pouvoirs et des effets du chant ; celle d'une possible théorie de l'impression musicale appliquée au chant d'Église ; les principes énoncés pour une adaptation-restauration du plain-chant dans la perspective des orientations du concile de Trente, mis en rapport avec les réalisations pratiques tant au niveau de la composition que de l'interprétation. Telles sont les étapes du parcours que nous propose M. Brulin, un parcours qui s'achève avec le chapitre « Théogalité de la voix ». Oui ! il y a un usage théologal de la voix, qui donne au culte chrétien toute sa vérité, et, en particulier, à chacun de ses acteurs toutes les chances d'agir avec justesse. Il convient de remercier l'auteur pour ce très beau travail qui, comme l'écrit J.-Y. Hameline (préface, p. VII), « arrive à une heure très favorable où l'on voit converger de nombreux travaux concernant une anthropologie, voire une éthologie historique de la voix ».