Date d'ajout : jeudi 08 octobre 2015
par Serge CAZELAIS
REVUE : LAVAL THÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUE, octobre 2014
Ce volume présente une version remaniée d’une partie de la thèse de doctorat soutenue par l’A. en février 2005 à la Sorbonne. L’évêque Priscillien d’Ávila († 385) fut le premier chrétien à être condamné à mort par une autorité ecclésiale chrétienne. À ce titre, son importance historique et celle du mouvement qui s’en inspira jusqu’au sixième siècle sont d’une importance considérable.
L’A. dégage d’abord deux constats. D’une part, en se posant constamment la question de l’orthodoxie et de l’hétérodoxie de l’évêque d’Ávila, l’érudition moderne est marquée d’une certaine contradiction dans la manière de présenter le priscillianisme. D’autre part, on observe une discordance entre les sources directes et les sources indirectes qui traitent de Priscillien et de son mouvement.
En confrontant les premières, notamment les Traités de Wurzbourg attribués à Priscillien lui-même, avec les secondes, l’A. arrive à dégager des constructions hérésiologiques les doctrines et les pratiques de Priscillien lui-même, à les situer dans l’histoire et à les distinguer de celles du mouvement qui se développa après son exécution.
Le premier chapitre propose une reconstitution historique des faits qui se sont déroulés sur trois siècles et qui laisse voir une certaine évolution du mouvement et une progression dans les charges qui pesèrent contre lui. Le deuxième chapitre présente les sources du mouvement. Elles se composent de sources directes (les traités de Priscillien lui-même et les textes produits par le mouvement), de certaines sources dites « incertaines » comme le De Trinitate fidei catholicae, ainsi que les sources indirectes qui se composent principalement d’extraits patristiques, hérésiologiques et conciliaires.
Le troisième chapitre étudie en détail la doctrine du mouvement. L’A. soutient que la doctrine de Priscillien est essentiellement biblique, teintée d’archaïsmes présents notamment chez les Pères apostoliques et les apologistes, alors que d’autres aspects tels que sa démonologie, sa conception du fatalisme astral qui pèse sur les non-convertis ou encore l’idée voulant qu’Ève ait forniqué avec Saklas, s’expliqueraient par sa connaissance de la littérature apocryphe. L’A. s’affaire ainsi à dégager l’aspect original des idées de Priscillien et analyse les liens possibles avec le gnosticisme et le manichéisme afin d’en montrer non seulement les rapprochements, mais aussi ce qui les distingue.
Il sera alors possible de mesurer et soupeser les accusations portées contre le priscillianisme et de bien dégager les constructions hérésiologiques des idées propres du mouvement. Sont passés en revue les aspects trinitaires (teintés de modalisme, sans être sabellianistes), le dualisme, la christologie, la cosmologie et l’anthropologie, incluant la question de la nature de l’âme. Une troisième section s’intéresse à l’astrologie, à la démonologie et à l’angéologie. On y découvre alors une conception du baptême qui délivre de la fatalité (semblable à celle des Extraits de Théodote), une idée qui veut que les démons utilisent les astres pour influencer les hommes (attestée dans l’Évangile de Judas) et une liste de noms d’anges et de démons. Signalons dans cette section à la p. 251, au sujet du nom Belias, une citation de B. Barc qui s’ouvre sur des guillemets sans se refermer et sans renvoi à une note.
Le quatrième chapitre examine l’arrière-plan culturel de Priscillien, notamment la prédominance de sa culture biblique et sa connaissance de certains apocryphes, sans négliger sa culture classique.
Priscillien connaît bien le néoplatonisme et la philosophie stoïcienne et un certain nombre
d’auteurs classiques, notamment Virgile. Enfin, l’œuvre de l’évêque d’Ávila compte de nombreuses citations d’Hilaire de Poitiers.
Le cinquième chapitre est consacré à la conduite religieuse du mouvement, de même qu’à ses pratiques chrétiennes et ascétiques, telles que le baptême et l’eucharistie, la pauvreté, les aumônes et les jeûnes. Les questions d’encratisme, de renoncement à la chair, de célibat, ainsi que certaines prescriptions alimentaires comme le végétarisme sont aussi passées en revue. L’A. aborde ensuite la nature des pratiques d’enseignement du priscillianisme, la question du secret et des deux niveaux de connaissance (exotérique et ésotérique), ainsi que les allégations d’une culture du mensonge et de la dissimulation attribuée au priscillianisme par ses adversaires. Enfin, sont étudiées les pratiques communautaires que sont l’organisation du mouvement, la place des laïcs, la hiérarchie, qui est avant tout spirituelle, et le rôle des femmes. Le portrait du mouvement qui est ainsi dressé est assez différent de ceux qui avaient été brossés par l’hérésiologie et l’historiographie. L’A. est alors mené à conclure que Priscillien ne fut ni gnostique, ni manichéen, ni même encratite. Si des similitudes conceptuelles et doctrinales s’observent, c’est, soutient-il, que tous ont pu puiser dans des matériaux communs. L’évêque d’Ávila est ainsi présenté comme un chrétien non conformiste de qui est issu un mouvement ascétique, devenu un courant dissident de Galice, dénoncé par des adversaires et victime d’une construction hérésiologique.
Le volume est complété par quelques annexes, une bibliographie, un tableau chronologique, un glossaire et des index. Cet ouvrage, tant par sa dimension, par la qualité de ses sources et de ses références que par sa conclusion originale est destiné à devenir une référence. À ce titre, l’A. invite à poursuivre la recherche sur les détails de l’œuvre de Priscillien et de son mouvement, notamment afin de « voir si derrière le non-conformisme de Priscillien, ne se cache pas une forme d’ésotérisme chrétien » (p. 449).