Date d'ajout : lundi 25 janvier 2016
par J.-M. COUNET
REVUE : REVUE THÉOLOGIQUE DE LOUVAIN, 4, 1997
« Il n'y a pas de vérité » entend-on dire parfois autour de soi, Toute personne un tant soit peu versée en logique se rend compte que cette affirmation se contredit elle-même, puisqu'elle prétend implicitement, dans l'acte même par lequel elle est prononcée, à cette vérité qu'elle nie pourtant dans le contenu de sens qu'elle véhicule explicitement. C'est là le principe même de la rétorsion, procédé logique par lequel on peut défendre certaines affirmations - ici l'existence d'assertions vraies - contre toute objection possible.
Selon les A. de l'ouvrage qui nous intéresse ici, la question du fondement des sciences, question essentielle s'il en est et qui demeure aujourd'hui tout à fait d'actualité en mathématiques, en physique et dans divers secteurs des sciences humaines, pourrait être traitée systématiquement grâce au procédé de la rétorsion. S'appuyant sur les travaux d'un jésuite belge G. Isaye, épistémologue et spécialiste de la cybernétique, nos deux A. voient à la base de toutes les disciplines une intuition portant sur la nature de toute assertion en tant que telle. Chacune de nos affirmations obéit aux lois d'une structure à la fois logique, métaphysique, phénoménale, lois qui sont implicitement affirmées dès lors que l'acte d'énoncer une assertion est mis en œuvre. Quiconque pose une assertion en admet donc toute la structure quand bien même son assertion en infirmerait explicitement la valeur. Par rapport à Isaye, nos A. insistent davantage sur le rapprochement avec le théorème d'incomplétude de Gödel, et jettent des ponts avec la métaphysique de l'action de Blondel ainsi qu'avec les développements récents autour du principe anthropique.
Ce travail a beaucoup de mérites en attirant de nouveau l'attention sur une épistémologie très simple d'abord et pourtant féconde et solide. Cependant la rétorsion n'a de force argumentaire que face à des objections, c'est-à-dire des assertions proprement dites qui entendent nier les principes de base des sciences, mais dont la critique est sans force puisqu'elles admettent de facto ce qu'elles nient en droit. Mais les principes ne peuvent-ils pas être mis en doute par de simples questions ? L'objection négative demeure à son corps défendant dans l'enclosure de l'assertion et de ses lois, ce qui permet à la rétorsion de triompher, mais la simple question marque une suspension du jugement, introduit une brèche dans la structure. La rétorsion semble alors sans force. Or poser une question, c'est faire intervenir le doute. Il n'est donc pas possible dans cette épistémologie de l'assertion de faire l'économie d'une véritable confrontation avec Descartes : l'auteur du Discours de la Méthode s'est-il trompé ? Quelles sont les lacunes de son approche ? Bien entendu à travers Descartes, c'est avec Kant et la phénoménologie transcendantale qu'il faudrait entamer un dialogue. C'est alors seulement que les thèses avancées pourront libérer tout leur potentiel de conviction, pour notre plus grand profit à tous.