Date d'ajout : lundi 25 janvier 2016
par BULLETIN CRITIQUE DU LIVRE FRAN�AIS, 2002
La collection « Le Grenier à sel », dirigée par Guy Petitdemange, accueille l'essai philosophique, d'une fort belle écriture, d'Henri Laux, Le Dieu excentré : essai sur l'affirmation de Dieu. « Dieu excentré », qu'est-ce à dire ? H. Laux se montre réfractaire à toute définition « réglementaire » : un Dieu enfermé dans des formules figées, est-ce encore Dieu ? Telle est l'interrogation qui retentit à toutes les pages du livre. Il s'agit alors d'entendre l'ample diversité des langages par où l'on parie de Dieu : la tradition spirituelle, la réflexion théologique, les écritures bibliques, la mystique, mais aussi les expériences les plus communes, qu'elles soient recherche de sens, comportements éthiques, ou présence à soi, à autrui, à plus grand que soi « dans le sentiment d'éternité, partout où l'homme consent à l'humanité qui est ou doit advenir en lui » (p. 9), et, bien sûr, invention poétique. En somme un Dieu dont la souveraineté est à lire dans la dynamique qu'il suscite. Le livre débute par le discours philosophique car l'exigence de cohérence est ici primordiale ; ce discours implique la conjonction du système et de l’infini et la reconnaissance de l'enracinement historique. Le parcours s'achève (le mot est impropre puisque justement un tel parcours ne s'achève pas) avec la mystique, expérience radicale où un être est habité par la présence de Dieu de telle sorte qu'il en donne une expression souvent jugée étrange, excessive ; mais l’épigraphe, empruntée à Jean-Joseph Surin (lettre 20, 1631), le dit nettement : « Qui n'a des idées excessives en matière de Dieu ne s'en approchera jamais. » « L'excès » fait d'ailleurs l'objet du chapitre IV et ce, sous une double forme : le discours critique, en l'occurrence celui de Spinoza, et l'expérience du mal. Au-delà de la perspective philosophique propre dans laquelle il s'inscrit, l'effort de Spinoza pour penser un Dieu souverainement libre a sens pour des conceptions qui reconnaissent un Dieu personnel, transcendant et en attente. La force de l'ouvrage tient à cette détermination : il ne peut y avoir d'autre principe de pensée et d'action que celui de la raison, « une raison intégratrice des forces qui affectent la liberté de chacun » (p. 120). Une raison qui n'est pas de pure positivité, mais pas non plus autoritaire et omnisciente et moins encore formaliste. La raison pour se comprendre a besoin d'un appui, et la mystique peut justement constituer cet appui parce qu'elle travaille en secret à l'engendrement d'une parole libre. La force du lien établi entre raison et mystique dans cette recherche sur l'affirmation de Dieu fait toute l’originalité de l’ouvrage.