Date d'ajout : vendredi 22 janvier 2016
par Paul-Augustin DEPROOST
REVUE : REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, 1999
Plusieurs études de ce volume sont la version définitive des contributions présentées et discutées lors d'un séminaire du Collège de France qui réunissait autour de Georges Duby une équipe pluridisciplinaire sur la question des multiples figures de Marie dans la longue durée de l'Occident chrétien, du 2e au 15e s. De Marie Theotokos à Notre-Dame, aboutissement de l'idéal courtois, cette recherche collective a ainsi dégagé dans le culte et les représentations anciennes de Marie un « système de valeurs » qui, à chaque période de l'histoire antique et médiévale, a servi peu ou prou de référent majeur dans la constitution des programmes théologiques, iconographiques, musicaux, liturgiques, et même sociaux ou politiques. Après que l'antiquité eut défini le profil proprement théologique de la Mère de Dieu, le moyen âge l'humanise dans des métaphores qui la rendent plus accessible à la dévotion personnelle, souvent engagée dans les formes du nouvel individualisme courtois ; dans le même temps, il sécularise progressivement le personnage de Marie comme pôle d'identifications communautaires où s'organisent les nouvelles institutions de la chrétienté : corporations de métiers, confréries, villes, royauté, universités, ordres de chevalerie, ordres monastiques, etc., qui sont nombreux à revendiquer son patronage. Il serait trop long de détailler et même de citer les titres rassemblés dans ce livre passionnant. Ils sont regroupés en six grands chapitres: « Marie telle qu'en elle-même », où il est surtout question de l'image liturgique de la Vierge Marie et de l'histoire des formulaires qui lui sont consacrés ; « Marie, figure d'ordre », comme référence dans les cérémonies du couronnement des reines et comme modèle de parenté dans les interprétations de l'Arbre de Jessé ; « Marie en représentations », qui analyse la formation de la tradition iconographique ; « Marie, l'espace ecclésial et l'espace liturgique », où l'on montre notamment que l'apparition de nouvelles formes architecturales entre les IXe et XIe s., et des dispositifs liturgiques qui s'y rattachent n'est pas étrangère au culte marial et aux mises en scène ou en théâtre dont il devient l'objet ; « Marie dans le texte » présente plusieurs dossiers textuels, comme, par exemple, des commentaires latins de la Femme d'Apocalypse 12, la traduction du poème Maria de Hrotsvita de Gandersheim inspiré de sources apocryphes, une évocation des traditions littéraires relatives à l'Assomption de Marie telles qu'elles apparaissent dans le genre particulier des Transitus Mariae ; « Marie et les groupes à risque », où l'on étudie les références mariales dans la lutte contre les juifs, mais aussi dans les courants hétérodoxes ; « Miraculeuse Marie », où je relève une contribution de Guy Philippart sur le récit miraculaire marial dans d'Occident médiéval et un important article sur le développement médiéval des pèlerinages à la Vierge. Du mystère de la Theotokos au salut de Villon à la « régente terrienne », le culte et la dévotion à Marie ont été en Occident un puissant ferment de création théologique, spirituelle, liturgique, littéraire et artistique dont ce livre foisonnant nous montre aussi qu'il ne fut pas sans influencer l'ordre social lui-même.