Date d'ajout : vendredi 04 décembre 2015
par A. RIESTER
REVUE : REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSE, 2001, 81
Nietzsche lui-même avait l'habitude de se qualifier de « unzeitgemäẞ (intempestif) ». Grâce à une analyse fidèle des écrits du philosophe et avec un style allant qui atteint parfois une dimension poétique, V. nous livre une présentation concise autant que bien informée (et marquée notamment par la sympathie intellectuelle envers son objet) de la pensée nietzschéenne, que l'on a trop souvent mal comprise, et notamment de ses « ambiguïtés » vis-à-vis de la religion.
L'accent de l'ouvrage porte sur La généalogie de la morale ; dans la mesure où Nietzsche estime que les valeurs doivent être davantage interprétées par la physiologie que par la psychologie, on a pu parler à son sujet d'un « positivisme » qui s'oppose à la métaphysique et à la religion. Toutefois, le « dire-oui », qui s'oppose à une existence ascétique, n'est pas antinomique à une vibration religieuse devant l'instant sacré (voir Fragments posthumes, t. XII, VIII, 1,7). La même démarche de dépassement se retrouve dans le domaine du droit : le « droit noble » ne veut pas supprimer les différences ni les hiérarchies - attitude qui est le propre de l'homme esclave et apeuré -, mais veut détourner de toute complaisance envers la faiblesse et la vilenie.
Dans un chapitre intitulé « Nietzsche et le christianisme », V. pose la question suivante : Nietzsche se sépare-t-il de toute référence religieuse ? Certes, il refuse le Dieu rassurant, forgé par la croyance chrétienne ; laquelle révèle la peur de l'inconnu et de l'altérité : « la foi au Dieu chrétien est devenue incroyable » (Gai savoir, aphorisme n° 343). Mais d'autre part, la « révélation » de Sils-Maria (août 1881) lui donne la sensation de la splendeur et de la surabondance du réel au-delà de tout jugement en bien ou en mal. La conséquence en est l'affermissement de la doctrine (Lehre) de l'éternel retour : le « même revient, mais toujours autre » (V.). V. nous invite ainsi à relire Ainsi parlait Zarathoustra: il revient à Zarathoustra de vouloir, avec toute la force possible, que « sa » vie revienne : un seul instant de beauté ou de surabondance pour justifier tout le reste !
Écrivant cela, Nietzsche savait qu'il allait « déconcerter » ; lui-même ne se présentait-il pas comme le « Christophe Colomb de la vie intérieure » ?