Date d'ajout : dimanche 21 février 2016
par Fr. D.-M.
REVUE : COURRIER DE MONDAYE, 182, janvier 1998
[…] Thérèse ensuite. Inévitable. L'avalanche éditoriale de 1997 - centenaire de la mort de la sainte carmélite de Lisieux, relancé par le doctorat - ne semble pas cesser. On s'achemine maintenant vers le centenaire de la publication de l'Histoire d'une âme (1898), et les éditeurs couvrent encore les tables de libraire. De l'ensemble de la production, généralement dévote et passablement ennuyeuse (il faudrait lire Thérèse et ne rien lire « sur » elle !), émergent sans peine les trois tomes assez particuliers d'édition thérésienne (Grasset-DDB, 1997) du bouillant Jean-François Six, mais ce n'est pas d'eux que je voudrais parler. Un livre récent retient l'attention, parce qu'il est bien écrit, hors des sentiers battus. C'est l'essai de Micheline Hermine sur Madame Bovary et Thérèse de Lisieux. Oui, curieuse idée que de confronter ces deux normandes, la belle pécheresse imaginaire et la grande petite sainte carmélite réelle. Et cependant, sur près de trois cents pages d'analyses pleines de finesse, Mme Hermine fait mouche presque à tous coups. Elle a longuement fréquenté Flaubert et elle connaît bien le dossier thérésien. Les grands thèmes du début du livre - Les enfances, Lectures, Le monde, L'amour, La mystique - sont autant de méditations comparées, pour ainsi dire, qu'il est impossible ici de résumer, car leur valeur tient au commentaire exigeant de textes très précis. Les mille comparaisons sont parfois singulières mais suggestives - ne citons que celle-ci - parce que c'est la quintessence de Flaubert ! - le bal de la Vaubyessard, où cet imbécile de Charles ne sait pas danser, fait miroir avec ce bal de Lisieux où Céline voit son cavalier frappé d'impuissance (le mot est de Thérèse, soulagée, Ms A, p. 208) ! Tout le travail préparatoire amène aux derniers chapitres : Mal dans leur temps. Mal dans leur corps, Mal dans leur âme. Cette maladie intérieure, si bien décrite par l'auteur, est partagée par les deux êtres souffrants qui se consument, l'une dans la clôture de sa province, et l'autre dans celle de son carmel. À lire cet étonnant et beau livre, on apprend beaucoup sur le drame sous-jacent à une si forte création romanesque, beaucoup aussi sur la manière possible de lire l'auto-hagiographie thérésienne. On se demande en terminant si l'imaginaire est bien là où on aurait pensé, en commençant. Madame Bovary, c'est moi, murmure Thérèse, en reprenant les mots de l'auteur du roman. Elle laissa retomber sa tête ; croyant entendre dans les espaces le chant des harpes séraphiques et apercevoir en un ciel d'azur, sur un trône d'or, au milieu des saints tenant des palmes vertes, Dieu le père, tout éclatant de majesté, et qui d'un signe, faisait descendre vers la terre des anges aux ailes de flamme pour l'emporter dans leurs bras. Cette vision splendide demeura dans sa mémoire comme la chose la plus belle qu'il fût possible de rêver. Thérèse dans son lit d'infirmerie, ou Emma, un soir d'hiver enneigé ? [C'est Emma Bovary, bien sûr (Édition Garnier, p. 218-219) mais je ne prends pas cette citation (trop facile) dans le texte même ni dans le livre de Micheline Hermine, mais dans le superbe petit livre de Philippe Dufour, Flaubert ou la prose du silence, 1997, (p. 84) dont bien des intuitions et des analyses (sur le silence, le rêve, la vie intérieure) font pendant à l'étude de Mme Hermine.]