Date d'ajout : mardi 18 avril 2017
par Patrice COUSIN
ESPRIT & VIE, juin 1980
Nos lecteurs connaissent Cl. Brossolette. De sa thèse de doctorat « Henry Maret, le combat d’un théologien pour la démocratie chrétienne » ils ont lu deux C.R. (Cf. « Esprit et Vie », 27-29 juin 1978, p. 398-400 et 10 mai 79, p. 278-279.), l'un plus détaillé, l'autre plus ramassé. Le volume d'aujourd'hui en est le complément : c'est le Cours inédit professé par lui en 1850-51 et qui inaugure une série annexe de la collection « Théologie historique » « Textes, dossiers, documents ».
Préface par É. Poulat, éclairé par une longue introduction (65 p.) où l’éditeur décrit l’évolution philosophique et théologique d’H.M., ce Cours présentait alors une actualité certaine. L'ancien journaliste de « l’Ère nouvelle » frais émoulu docteur, venait d’être nommé à la chaire de dogme de la Faculté de théologie de la Sorbonne. En cette brève période de la IIe République, il expose dans son Cours les différents systèmes de rapports entre les deux puissances : l'État subordonné à l'Église, l’Église subordonnée à l'État ; après avoir montré leur malfaisance, il aborde avec plus de développements le 3e système : l’alliance légale et politique entre l’État et l'Église, qui a fonctionné durant de nombreux siècles : l'orateur, après avoir reconnu qu'il a assuré à l’Empire tardif et au haut Moyen Age une prospérité réciproque, démontre qu'il s'est ensuite dégradé : contrainte des consciences par l'État, abandon par les gens d’Église de l’esprit évangélique qui les ont fait céder très souvent aux tentations de la richesse et du pouvoir politique au point que ses avantages ont été étouffés par ses méfaits.
Depuis cinquante ans, un ordre nouveau s’est établi : la Séparation légale de l’Église ct de l’État (que n’infirme pas le Concordat qui règle des problèmes administratifs) ; il vise a l'harmonie morale entre les deux pouvoirs dans une liberté générale limitée seulement par les lois dc l'État, il favorise l'épanouissement des personnes et la convivance des doctrines religieuses ct philosophiques.
Tel est l'exposé du catholicisme libéral professé par H. Maret : il distingue soigneusement de la tolérance civile, la tolérance dogmatique qu'il déclare inacceptable parce qu'elle conduit à l'indifférentisme et au scepticisme, l’intolérance dogmatique est nécessaire pour maintenir la cohésion et l'identité doctrinale de l'Église.
Par contre il majore parfois les excès de pouvoir de l’Église au Moyen Age parlant de « dicta-
ture pontificale » (Citons un exemple : Innocent III, si représentatif du XIIIe s., rappelons son impuissance en face des déviations des croisades, celle de l'Ouest contre les Albigeois, celle de l'Est avec la prise de Constantinople. Un historien sérieux l'a ainsi jugé : « il agissait en père spirituel de la chrétienté plutôt qu'en autocrate autoritaire » (Dom Knowles, Nouvelle Histoire de l’Église, t. II, p. 399), il faudrait mieux dire « en arbitre suprême de la chrétienté ». A l'opposé, il se fait des illusions, excusables à son époque, sur l'harmonie morale que va créer, selon lui, « l’alliance entre le catholicisme et la liberté intellectuelle, fondement de toutes libertés civiles et sociales, alliance qui renferme l'avenir du monde moral ».
Le style, oratoire (Lacordaire et ses Conférences ne sont pas loin !) a un peu vieilli, les nobles espérances d’H.M. ne se sont que partiellement réalisées, du moins il a affirmé avec force que la tradition de l’Église a toujours déclaré que l'adhésion à la foi chrétienne devait être libre et que c’est dans un climat de liberté que le christianisme peut le mieux épanouir les croyants dans la sainteté et montrer par des œuvres caritatives, multiples et variées, sa bienfaisance dans la société.