Date d'ajout : mardi 23 mai 2017
par Henry Maurier
CULTURE ET DÉVELOPPEMENT, 1979, 4
Ce prêtre exerce d'abord son ministère en Lorraine pendant 27 ans, puis en Chine, 12 ans, pour revenir au pays natal et mourir en exil à Trêves, pendant la Révolution. Écrivain fécond, il a produit plusieurs ouvrages de spiritualité et de mystique, tant en français qu'en chinois. Il a été lui-même l'objet de plusieurs études. Moye est donc une figure relativement importante du clergé français du XVIIIe siècle. Le présent ouvrage n'entend pas refaire la biographie de ce prêtre, mais proposer une analyse de son itinéraire et de son langage spirituels.
Que peuvent attendre de cette étude les lecteurs de cette Revue ? Apparemment peu de choses, à moins d'être curieux d'histoire de la mission et du rôle que peut jouer une spiritualité dans une activité pastorale. Nous avons à faire à un homme étonnant : il ne paraît nulle part à l'aise, critiqué dans les diocèses où il passe, étranger clandestin en Chine, impressionné par la mort d'un ami en France et, en Chine, par un confrère sorti de prison, confesseur de la foi. Il est préoccupé du salut des enfants au point de recommander la césarienne pour toute femme morte présumée enceinte afin de baptiser l'embryon et de demander au Saint Siège une fête en l'honneur des enfants morts en bas âge. En Lorraine comme en Chine, il est préoccupé du salut des petites gens et des jeunes au point d'organiser l'envoi dans les hameaux de jeunes filles mêmes isolées, qui leur apporteront l'instruction. Autant de choses qui lui causent beaucoup d'ennuis ! Le salut est difficile, pense-t-il ; le nombre des élus restreint ; le monde, l'esprit mondain s'oppose à la grâce. On comprend que cet homme, membre d'une Église d'État, pourtant puissante, mais sapée peu à peu en sa puissance même, puis persécutée par la Révolution, développe une expérience spirituelle axée sur la Providence et la vie intérieure.
Pourquoi va-t-il en Chine ? Peut-être parce que là-bas il lui semble possible de vivre une religion plus pure dans une chrétienté moins sophistiquée. Que découvre-t-il ? Il semble avoir connu assez bien le chinois pour avoir été en mesure de composer en cette langue quelques ouvrages de piété. Dans le livre de G.T., nous ne voyons nulle part qu'il ait perçu quoi que ce soit de la culture chinoise, des raisons de la persécution, de la querelle des rites chinois. Ce qu'il fait là-bas : « le baptême de cinquante mille enfants ... l'établissement des écoles et des pratiques de piété... l'instruction de quelques disciples qui sont prêtres, le salut de plusieurs élus » (p. 211). Il approfondit en tout cas son expérience spirituelle. Il découvre ceci qui n'est pas peu et qui aurait pu servir à ce que nous appelons maintenant le respect des autres cultures : à l'opposition binaire dans laquelle fonctionne sa pensée : le monde/la grâce, se substitue après son expérience chinoise, une séquence ternaire : le monde / la nature / la grâce. « A côté des mondanités qu'il condamne toujours, il y a la simplicité et la vertu naturelle » (p. 125), et en ce « naturel » jouent aussi bien la grâce que le monde mauvais, c'est un don de Dieu qu'il faut épurer et mettre sous la mouvance du surnaturel. Les missionnaires modernes fonderont leur action civilisatrice et chrétienne sur ce principe.