Date d'ajout : mardi 24 janvier 2017
par Serge CANASSE
REVUE : LA REVUE DU PRATICIEN, juin 2016
Les incantations en faveur de la dignité humaine ont quelque chose de suspect : elles cachent la difficulté à énoncer des valeurs communes et la vacuité de la « course à la performance », qui est devenue la norme de notre société moderne. Tel est l'argument central développé par Gilbert Larochelle, philosophe, et Françoise Courville, infirmière, en l'appliquant à la santé. Tout n'est pas nouveau dans leur propos, mais il est clair et accessible. Il s'inscrit dans un mouvement d'idées très contemporain, mis en lumière par les théories dites du care : si la raison est un outil indispensable à la connaissance et à l'action, elle ne peut prétendre y suffire parce qu'elle est incapable à elle seule de restituer le réel. Pour nos deux auteurs, l'idéologie de la performance fait croire le contraire en mélangeant trois registres de la pensée : la vérité, en avançant comme critère l'efficacité, la moralité, en se présentant comme garante d'un fonctionnement collectif harmonieux, la mesurabilité, en la faisant passer pour l'objectivité. Elle implique un rapport à soi et aux autres marqué par la transparence : rien ne doit ni ne peut être caché, puisque tout peut se dire. Elle impose l'urgence, c'est-à-dire l'immédiateté de ce qu'il convient de faire et d'énoncer, reléguant la prise de distance par la réflexion à une perte de temps. Elle fait croire à l'autonomie et à l'accomplissement de soi alors que ses normes priment. Dans les soins, elle remplace le relationnel par ce qui s'objective et vise à un surhomme, jamais défaillant, sauvé des contingences du monde. Elle s'apparente ainsi à la recherche du salut, passée du religieux au médical.