Date d'ajout : jeudi 05 novembre 2015
par Dominique AVON
La composition de l'ouvrage documenté de Joseph Roger de Benoist peut surprendre : la biographie, insérant chronologiquement le portrait de Léopold Sédar Senghor dans l'histoire contemporaine de l'Afrique occidentale, est suivie d'une série de textes (brièvement introduits) du poète et homme politique sénégalais, puis de la reproduction d'un large extrait de l'essai de Mme Nespoulos-Neuville [Josiane Nespoulous-Neuville, Léopold Sédar Senghor, de la tradition à l'universalisme.], et enfin du témoignage de Cheikh Hamidou Kane, écrivain peulh musulman dont l'hommage au poète catholique se présente tel un signe de communion.
Au lecteur de discerner - si elle existe - une unité, d'esquisser un point focal autour duquel fixer son attention. Entreprise rendue délicate par la variété des engagements de Senghor, la grandeur de ses amitiés, la profondeur d'une pensée riche en concepts créés ou repris puis adaptés dans un nouveau contexte : le « Royaume d'enfance », dans lequel il inscrit une foi monothéistes ; les « Hosties noires », ces Tirailleurs Sénégalais oubliés par la France ; 1'« assimilation et association » dans le cadre de l'Union française ; le risque de « balkanisation » de l'A.O.F. en marche vers l'indépendance… pour ne prendre que quelques exemples.
Une ligne directrice émerge-t-elle ? Si oui, elle passerait par la « négritude » pour tendre vers l'œuvre de « Civilisation Universelle » : soit, un terrain (celui de l'identité, largement défriché par Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas), un sens (l'« avant », le « matérialisme scientifique » complété par les intuitions teilhardiennes ont profondément marqué la pensée senghorienne attachée à l'idée de progrès), une force (la « civilisation négro-africaine », qui puiserait dans cette œuvre la source de sa dignité). Senghor n'a jamais oublié la leçon de Paul Rivet, dont il suivait le cours d'anthropologie en 1938 : « ( ... ) la théorie du métissage culturel, comme idéal de civilisation ».
Ce travail pose cependant la question, non du jugement, mais de la qualification d'une démarche, de sa mise en contexte :
- dans le domaine religieux, un catholique des années soixante pourra ne pas partager l'approche irénique de Senghor dont la pensée - certes aussi poésie -, nourrie de la lecture des travaux du jésuite Teilhard de Chardin, peut apparaître comme confinant au concordisme : cette « Civilisation de l'Universel », synthèse de toutes les civilisations, terme d'un processus de socialisation, serait-elle l'avant-goût du Royaume céleste ? C'est bien la question du rapport entre nature et surnature qui est posée ici ;
- dans le domaine politique, la conception de la laïcité (« la laïcité d'un Jules. Ferry, qui était neutralité », peut-on lire sous sa plume) et la pratique - de fait - du « parti unique » dans les années 60- 70, ont suscité des débats qui auraient gagné à être mis en évidence.
L'image qui subsiste, en refermant le livre, reste cependant celle d'un homme au charisme exceptionnel, dont l'engagement fut explicitement inspiré par une vie intérieure, dont l'analyse accompagna les bouleversements d'une époque tout en restant fixée sur quelques principes. Une figure avec laquelle tout homme de bonne volonté pourrait entretenir un « Dendiraagal », selon le langage des Peulhs, cette « parenté plaisante » où les droits et les devoirs viennent combler une affectueuse amitié.