Date d'ajout : vendredi 22 janvier 2016
par Fran�ois BLANCHETI�RE
REVUE : REVUE DES ÉTUDES JUIVES, janvier 2000
Disparu en 1997, le regretté P. Nautin a toujours été reconnu pour la qualité de sa recherche, sur Origène par exemple, et pour ses positions atypiques, sur Hippolyte par exemple. Le présent ouvrage, publié à titre posthume et inachevé, ne déroge en rien à ces critères, On y retrouve la technique irréprochable du savant, et plus encore la pédagogie du maître.
Curieux titre d'abord, L'Évangile aurait été perdu ? Retrouvé par qui ? Après vingt siècles et l'immense labeur de générations d'exégètes… En fait, de quoi s'agit-il ? D'une question irritante : que savons-nous d'historiquement fondé au sujet de Jésus ? Et nous voici adressé au problème non moins irritant des sources et, partant, de la composition des Évangiles.
On ne résume pas un tel ouvrage. Sera-t-on convaincu par cette variante de la théorie des deux sources : un « évangile primitif », suite de dits ou logia, élaborée en Galilée en grec, entre 30 et 35, selon un ordre logique, et constituant un bloc en Lc 9,51-18, 14, suite qui aurait été par la suite remaniée différemment par Marc puis par Matthieu puis par Luc. Tel est l'objet de la première partie.
La question rebondit : cet « évangile primitif » a-t-il été totalement intégré dans les synoptiques et comment ? Poursuivant sa minutieuse analyse, P. Nautin consacra sa deuxième partie à reconstituer l'introduction primitive aux dits, puis sa troisième partie à l'épilogue de cet « évangile primitif », enfin la quatrième aux dits eux-mêmes. Le tout complété par une série d'annexes réservées à des études complémentaires. Et de poser des questions d'historien : « d'où l'auteur de "l'Évangile primitif" tenait-il ces dits ? Et les reproduit-il exactement ? » (p. 155).
Que penser de l'hypothèse ? Sans doute, le processus d'anamnèse a commencé très tôt parmi les disciples du Nazaréen et les années 30 sont plausibles, même pour une première mise par écrit. De là à envisager une rédaction logiquement élaborée ? Et en grec, et en Galilée ? Qui plus est, à plusieurs reprises, P. Nautin allègue un rejet de ces mêmes disciples par les Juifs dès les années 30. Qu'on nous permette d'en douter. La prise en considération de la spécificité de ce groupe et son rejet ne se sont effectués que progressivement et doivent avoir atteint leur paroxysme après la catastrophe de 70, à l'époque de Yavné, alors que les Sages pharisiens tentaient de restaurer l'unité du peuple autour de leur interprétation de la Torah. Avant 70, les disciples sémitophones de Jésus ont manifestement entretenu des rapports fort paisibles avec les Sages pharisiens, sur ce point les Actes des Apôtres sont explicites, même s'il n'en a pas été de même avec les autorités juives.
Appuyé sur une lecture minutieuse des synoptiques, ce livre fourmille de notations, de remarques qui suscitent la réflexion, éveillent la question, confortent des positions. En résumé, un livre de P. Nautin herméneute des textes anciens, historien et non pas théologien, Un livre qui mérite l'attention, mais qui sur de nombreux points ne manque pas d'appeler des réserves.