Date d'ajout : dimanche 11 octobre 2015
par Jean-Pierre GUTTON
REVUE : REVUE D'HISTOIRE DE L'ÉGLISE DE FRANCE, 1997
C'est dans le contexte des difficultés sociales suscitées par l'industrialisation que le Père Joseph Rey (1798-1874), Forézien, mène son action en faveur des enfants défavorisés. D'origine modeste, ayant connu tout jeune la pauvreté, Joseph Rey, à partir des années 1835, s'attache à l'éducation des enfants en détresse : orphelins, enfants abandonnés, enfants « en danger moral », vagabonds, jeunes délinquants. Aidé par la Congrégation des Frères de Saint-Joseph, dont il est supérieur, il ouvre à Oullins, dans la banlieue lyonnaise, un refuge destiné aux jeunes en difficulté. Puis il fonde des colonies agricoles à Cîteaux, en Bourgogne, et à Saint-Genest-Lerpt, près de Saint-Étienne.
L'ouvrage d'Éric Baratay retrace l'histoire de ces fondations, les différenciant les unes des autres et insistant sur les divers aspects de l'œuvre du Père Rey. En utilisant un triple modèle, familial, conventuel et militaire, le Père Rey entend tout à la fois « éduquer l'âme, l'esprit et le corps », le but final étant le régénération morale et l'insertion des jeunes dans la société. Les moyens utilisés étaient novateurs au XIXe siècle : souci de l'alimentation et de l'hygiène, désir d'accueillir les jeunes pensionnaires dans des locaux agréables, bien situés ; direction « douce et ferme » à l'égard des enfants. La pédagogie de Joseph Rey repose plus sur l'émulation que sur la répression. L'auteur illustre de nombreux exemples ce thème général : dès 1853, attribution de récompenses pécuniaires en fonction de la conduite et du travail, création de fanfares, développement de la gymnastique, importance des récréations et des jeux. Et bien sûr, volonté de faire alterner éducation morale, religieuse, primaire et professionnelle adaptée à l'âge des enfants. Pour tous, le travail représente une part importante de l'activité journalière, À partir de 15 ans en particulier, les jeunes reçoivent une formation professionnelle solide et variée correspondant à leurs aptitudes. L'œuvre de Joseph Rey rencontre des résistances - évasions, politique fluctuante de l'État au cours du XIXe siècle, crainte de la concurrence de ce que certains appellent « les congrégations industrielles », mais elle connaît aussi un succès certain, surtout à la fin du second Empire.
Le livre d'Éric Baratay est une contribution notable à l'histoire des enfermements du XIXe siècle, comme à celle d'un christianisme social précoce. Sans doute bien des aspects de l'œuvre de l'abbé Rey semblent d'un autre âge. Reste que cette œuvre, et le livre, permettent une réflexion sur la nécessité de donner à des exclus le sentiment d'appartenir à une communauté.