Date d'ajout : mardi 04 avril 2017
par Jules HARDY
Monsieur André Bord ne se propose pas d'apporter quelque chose de nouveau à la biographie de saint Jean de la Croix ni à l'histoire de ses écrits. Dans cet ouvrage, qui est une thèse de l'Université de Bordeaux, il a voulu recueillir et expliquer les textes de saint Jean de la Croix sur la mémoire et l'espérance, en essayant de montrer que les différences dans l'expression ne compromettent pas l'unité de la pensée.
Nombreuses sont les philosophies où la mémoire est, pour ainsi dire, l'étoffe du spirituel: dans le platonisme, l'intelligence est comme une mémoire des intelligibles; dans l'augustinisme, l'âme découvre en elle la présence de Dieu au fond de sa mémoire ; le titre du second livre d'Henri Bergson oppose la matière à la mémoire, celle-ci étant, d'ailleurs, une durée où chaque instant demeure, où le passé ne passe pas... Si radicalement différents que soient ces exemples, ils illustrent le même pressentiment : c'est du côté de la mémoire qu'il faut chercher ce qui fait la nature propre et irréductible de l'esprit. Jean de la Croix n'est pas un philosophe, mais son expérience mystique implique une philosophie, un complexe d'idées sur le moi, le monde et Dieu. Il y a donc intérêt à expliciter ses vues sur la mémoire.
La mémoire est une des trois puissances de l'âme, les deux autres étant l'entendement et la volonté. L'expérience mystique exige une purification de toutes les puissances, il y a donc une nuit de la mémoire qui la vide de tout ce qui serait en elle de l'ordre de l'avoir: c'est alors qu'apparaît son lien paradoxal à l'espérance, lien paradoxal puisqu'il établit une correspondance entre une faculté en apparence tournée vers le passé et une vertu tournant vers l'avenir. M. André Bord l'explique très clairement: quand la mémoire ne se replie plus sur ses possessions, rien n'empêche plus l'âme de " viser " Dieu : la mémoire s'achève dans l'espérance comme l'entendement dans la foi et la volonté dans la charité.