GREGORIANUM, 54,3, 1973

Sophrone de Jérusalem s'est signalé par son intervention dans la controverse du monoénergisme et du monothélisme. L'étude historique qui lui est consacrée commence par la description du déploiement du monachisme palestinien avec saint Euthyme et saint Sabas. Le monachisme a joué un rôle décisif dans l'acceptation du concile de Chalcédoine en Palestine. Chez Sophrone, on constate la même alliance du zèle pour la vie monastique et de la profession du dogme christologique. Sa jeunesse fut marquée par des contacts avec Jean Moschus, l'auteur du Pré spirituel, et avec le monde culturel d'Alexandrie. Comme patriarche de Jérusalem, il envoya à Rome Étienne de Dora afin d'éclairer le Pape sur le sens de la doctrine professée par Sergius et de défendre l'orthodoxie chalcédonienne. Dans une première période en effet, Sergius avait remporté un succès en envoyant une lettre au Pape Honorius, où il dénigrait Sophrone ; dans sa réponse, Honorius avait désavoué de façon assez hautaine le patriarche de Jérusalem. Ensuite, après avoir reçu une lettre synodale de ce dernier ainsi que des informations sur la situation réelle, il se montra plus prudent dans son attitude en demandant qu'on s'abstienne de parler d'une ou de deux opérations dans le Christ. En 649, Étienne de Dora, en participant au Concile du Latran, contribuera à la condamnation du monothélisme. Sophrone ne verra pas cette victoire de la foi, car il semble que sa mort ait eu lieu dès 639, peu après la prise de Jérusalem par les Arabes. Mais on peut le considérer comme le père spirituel de Maxime le Confesseur, qui joua le rôle le plus déterminant dans la lutte doctrinale. Lui-même n'a laissé que peu d'écrits ; comme œuvres dogmatiques, on ne retient de lui que sa lettre synodale et une lettre à Arcadius de Chypre, encore inédite. Ses sermons contiennent également des indications précieuses sur sa doctrine. Parmi les problèmes envisagés spécialement dans ses œuvres, il y a celui du « théopaschisme », de la souffrance de Dieu, qui requiert la distinction entre « théologie » et « économie ». Sa théologie de l'Incarnation souligne les aspects de kénose, de substitution, de double consubstantialité comme exigence sotériologique. Pour répondre aux objections du monoénergisme, Sophrone explique la raison pour laquelle le Christ était sans péché : non pas à cause de la nature divine, mais en raison de la voie royale de l'humilité qu'il a suivie dans son activité humaine et qui a consisté pour lui à épouser la volonté du Père jusqu'à l'ignominie de la mort. Ainsi est maintenue la distinction entre opération divine et opération humaine. Cette distinction permet de développer une théorie de la « synergie » ou coopération de Dieu et de l'homme, et comporte des conséquences pour la doctrine de la vie chrétienne et monastique; cette vie se caractérise en effet par la divinisation dans la synergie. L'étude de la vie et de la pensée de Sophrone a l'intérêt de nous remettre face à une période importante du développement de la christologie ; elle est faite avec soin et précise un certain nombre de coordonnées historiques qui aident à mieux apercevoir le sens des affrontements doctrinaux.