Date d'ajout : mardi 06 juin 2017
par M.-A. G.
REVUE THOMISTE, 1974, 4
On sait le cas de conscience dramatique que pose à la pastorale contemporaine la situation des divorcés remariés. Le Père H. Crouzel la formule ainsi : « Ou bien témoigner de l'idéal évangélique du mariage en rejetant plus ou moins ceux qui n'ont pas eu les moyens de le vivre, ou bien traiter ces derniers avec indulgence, mais sacrifier dans une certaine mesure ce qu'a voulu le Christ » (p. 382). L'indissolubilité du mariage chrétien est une donnée tellement claire du Nouveau Testament, de la Tradition et du Magistère, qu'elle semble à beaucoup n'admettre aucune exception. L'exception semble bien prévue, en Mat. v32 : excepta fornicalionis causa, et en Mat. xlx,9 : nisi ob fornicationem, mais les exégètes ne sont pas d'accord sur l'extension de ces incises et l'interprétation à leur donner. Peut-on alors s'appuyer sur une Tradition solide ? L'A. en a cherché l'expression dans les écrits et les institutions de l'Église primitive - une Église primitive largement entendue et qui comprend les IVe et Ve siècles. Il a constitué le dossier de ce qu'enseignent les Pères anténicéens, puis ceux des deux siècles suivants, en Orient d'abord, en Occident ensuite. Cela fait une cinquantaine d'auteurs étudiés, dont certains en plusieurs passages de leurs œuvres, avec en plus les canons de divers conciles anténicéens ou des IVe et Ve siècles.
La plupart de ces textes mélangent des questions diverses : les secondes noces, après veuvage ; la séparation proprement dite des époux - et là, le droit qu'en a le mari seul ou bien la femme autant que le mari ; et le remariage après séparation. La conclusion est formelle : « L'Ambrosiaster est [ ... ] le seul écrivain ecclésiastique des cinq premiers siècles à permettre clairement le remariage : à l'homme seul, après une séparation pour inconduite ; à l'homme et à la femme, abandonnés par leur conjoint incroyant » (p. 274). Le remariage n'est pas possible, même après une séparation légitime, tant que le conjoint, qu'il soit innocent ou coupable, est encore vivant. Beaucoup de ces textes soulignent, à cette occasion, l'égalité des sexes devant les impératifs de la morale conjugale.
L'ouvrage est écrit avec sérénité et sans esprit de polémique ; les références en note révèlent pourtant à qui l'ignorerait que certaines des interprétations de l'A. s'écartent de celles d'autres chercheurs. Il admet, d'ailleurs, la contestation comme une collaboration scientifique. (Ajoutons qu'elle n'est regrettable que lorsqu'elle s'exprime avec agressivité… ) Quoi qu'il en soit, et même si quelques analyses de H. C. devaient être rectifiées, même si le témoignage de l'Église primitive était moins massif qu'il apparaît au terme de cette étude, elle n'en serait pas moins impressionnante.
Le problème pastoral demeure ; avec cependant une propension manifeste du Magistère et de ses canonistes à l'indulgence - comme il appert dans les décisions romaines touchant le privilège paulin et ses extensions « pétriniennes ». Mais H. C. ne traite pas de cela. Sa recherche est d'histoire et, sur son terrain, son apport est considérable.
Les répétitions de toujours la même analyse sont dans ce livre parfois un peu fastidieuses ; le résultat en valait la peine ; et l'on remercie l'A. de sa méticuleuse patience.