Date d'ajout : dimanche 20 septembre 2015
par Pierre BATTEZ
REVUE : FRANCE CATHOLIQUE, janvier 2002
Après les groupes religieux (les jésuites, les protestants… ) et les régions (Savoie, Bretagne…) le dernier volume du Dictionnaire religieux de la France contemporaine des éd. Beauchesne s'attaque aux marges du christianisme.
• Jean-Pierre Chantin, quelle cohérence présente ce groupe plutôt hétérogène, des "marges", où des prêtres modernistes excommuniés voisinent avec les ésotériques ou les petites Eglises ?
Le dictionnaire des Marges du christianisme rassemble les notices de personnalités qui, pour une raison ou une autre, volontairement ou contraints, ont rompu avec l'une des grandes traditions chrétiennes de notre pays entre 1800 et 1970. Comme l'explique plus longuement l'introduction, la notion de "marges", a été retenue pour qualifier cet ensemble il est vrai très diversifié car l'expression est plus neutre que celle de "sectes", toujours employée mais clairement péjorative malgré les efforts des sociologues pour lui donner un caractère scientifique. "Etre en marge de", c'est ne pas s'intégrer à un groupe, ne pas y être accepté, ne pas se soumettre à ses nonnes, à ses usages, ses lois. Mais tous ceux qui figurent dans le Dictionnaire ont tenté de proposer une voie spirituelle, alternative, plus ou moins éloignée du christianisme originel, d'où leur diversité.
• Comment est organisé le dictionnaire ?
L'index comprend plus de 1000 références. Il est composé à la fois des noms des personnes qui font l'objet d'une notice, de leurs pseudonymes (nombreux), des autres noms cités (par exemple Gauguin, dont le tableau qui agrémente la couverture est inspiré d'une œuvre d'un peintre ésotérisant) et, surtout, des noms des multiples mouvements créés - ainsi, 47 Eglises différentes sont citées. Pour ce qui est de ces "marginaux", le mot n'est pas très heureux mais il introduit une notion intéressante de "minorité", et c'est bien de cela qu'il s'agit.
• Pourquoi étudier la minorité plutôt que la majorité ? Quelle cohérence présente cette perspective ?
Tous ont subi ou osé la rupture, devenue mentalement de plus en plus possible après la Révolution, pour des griefs ou des insatisfactions fort diverses. Le pari du chercheur en ce domaine est que la marge révèle le centre ; pour être plus clair, le départ de ces "mécontents" qui osent ainsi s'exprimer nous permet de connaître des motifs d'insatisfaction d'autres fidèles qui, eux, n'osent pas s'engager sur une voie alternative et se cantonnent à une attitude critique à l'intérieur de leur institution, ou s'en éloignent progressivement sans bruit. A des marges extérieures, correspondent des marges intérieures - ce qui est un autre avantage de cette notion.
• Quelle est habituellement la raison de la rupture ?
J'ai relevé trois types de réponses (les deux premiers ne concernent d'ailleurs que l'Eglise catholique). Un premier groupe peut être qualifié de "conservateur" : ses membres refusent une évolution de l'Eglise qu'ils jugent néfaste (des anticoncordataires de 1801 aux traditionalistes de Mgr Lefevbre, en passant par les derniers jansénistes). Au contraire, les "réformateurs" regrettent le manque d'adaptation de leur structure au monde moderne (Constitutionnels de la Révolution, une partie des Vieux-catholiques de 1871, les "modernistes"). Enfin, pour les "innovateurs", il s'agit de trouver une voie alternative, en sortant du protestantisme (les Mormons), en prônant une solution déiste (certains libre penseurs), dans l'attente millénariste avec un nouveau Messie (Elie Bonjour ou le Christ de Montfavet) ou des visionnaires non reconnus par l'Eglise, enfin par l'ésotérisme ou le syncrétisme (Mandarom). Toutes ces options sont d'ailleurs présentées dans l'introduction.