Date d'ajout : mardi 16 mai 2017
par Bernard COTTRET
REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS, CCVIII, 3, 1991
Si l'on excepte les belles pages érudites que lui avaient consacrées en notre siècle E. Préclin et N. Sykes, (respectivement dans les années 1920 et 1950), le dossier controversé des relations anglicano-gallicanes ne s'était guère prêté à un travail comparable par l'ampleur de la documentation et la qualité de la réflexion à celui que deux chercheurs viennent de publier à quelques mois d'intervalle. En fait, nous saluerons ici un double événement bibliographique qui devrait intéresser également les historiens modernistes et tous ceux qui réfléchissent à l'heure actuelle aux questions œcuméniques. La correspondance qu'entretint, dans le premier quart du xvme siècle, l'archevêque de Cantorbéry William Wake avec Jean-Alphonse Turretini à Genève, William Beauvoir, Louis Ellies Du Pin, Patrick Piers de Girardin, et bientôt Louis-François Le Courayer (à compter de juillet 1721) à Paris, méritait certes d'être un jour publiée, au prix d'une exploration méticuleuse d'archives éparses. Le fonds Wake, du Christ Church College, Oxford, tout comme les manuscrits de la Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris nous livrent ainsi leurs trésors, sans oublier le ministère des Affaires étrangères, la Bibliothèque Méjanes d'Aix-en-Provence, la Bibliothèque nationale, la British Library ou la Bibliothèque de la Société de Port-Royal... Au tolal, une vingtaine d'institutions.
Si de nombreuses pièces se retrouvent dans les deux ouvrages, ils demeurent absolument complémentaires : cette belle moisson d'archives requiert plusieurs ouvriers. A Leonard Adams, nous emprunterons une rapide chronologie (vol. l, p. 4-12) : les « Quatre Articles » gallicans de 1682 suscitent outre-Manche la réflexion des anglicans, tout comme la fronde janséniste, ou simplement gallicane, contre l'Unigenitus (1713). Dès 1716, William Beauvoir, aumônier de l'ambassade de Grande-Bretagne à Paris, entreprend de nouer de fructueux contacts avec les ecclésiastiques français. Louis Ellies Du Pin, l'une des pièces maîtresses de ces négociations, meurt malheureusement en 1719, alors que l'abbé Dubois a intercepté sa correspondance. Girardin, et surtout Le Courayer lui succèdent : mais ce dernier doit fuir la France et trouver refuge en Angleterre durant l'hiver 1727-1728 après avoir reconnu solennellement dans ses écrits la validité des « ordinations anglicanes ».
Voilà pour la péripétie. Mais ces lettres échangées, si elles jettent un jour inédit sur l'atmosphère de la Régence constituent également un extraordinaire document d'histoire intellectuelle qui nous permettra de mieux saisir certains des enjeux toujours actuels, de l'œcuménisme. Dans les quarante pages lumineuses de son introduction, M. l'Abbé Grès-Gayer, Asisstant Professor à l'Université catholique de Washington, laisse parler son cœur et sa raison. En historien, il refuse toute spéculation anachronique gratuite : « On se gardera de toute comparaison directe avec le présent. Ni Wake, ni Du Pin n'étaient des précurseurs, mais bien les témoins de la persistance d'un idéal d'unilé chrétienne dans l'Europe divisée » (p. 39). Soit. Pourtant, l'auteur a fort bien saisi combien la démarche de l'œcuménisme protestant différait des tentatives catholiques : à l'unité (catholique) de l'Église, d'aucuns préféreront l' « union des Églises » (p. 37). Ainsi vérifiera-t-on une fois de plus qu'au-delà de tous les achoppements dogmatiques, la principale divergence entre la catholicité romaine et les communions issues, peu ou prou de la Réforme (ici le cas anglican), porte sur l'ecclésiologie.