Date d'ajout : lundi 02 novembre 2015
par Raymond COURT
REVUE : ETUDES, avril 1999
Ce livre apporte à la fois une somme sur l'histoire des rapports entre le sentiment religieux et son expression vocale (parlée et musicale) dans le culte au XVIIe siècle en France et une riche réflexion proprement théologique (voire théologico-esthétique) autour du phénomène de la voix. Cette perspective maîtresse de recherche conduit au cœur de ce « grand siècle » français marqué par une remarquable restauration catholique dans la foulée tridentine. Sont ainsi inventoriés avec rigueur des textes majeurs, du Catéchisme du concile de Trente à ceux de Louis Thomassin, de Pierre Nicole et des quiétistes, puis, dans le champ musical, l'œuvre d'un Le Cerf de la Viéville, « un des premiers essais de critique musicale » sur la différence du rôle de la voix à l'église et à l'opéra, ou encore celle, plus tardive de Nivers. L'originalité de ce dernier a été de réaliser, dans un climat de « réestimation du plain-chant », un équilibre entre les positions extrêmes des Oratoriens (désireux d'actualiser le grégorien, quitte à le baroquiser) et des défenseurs (comme Jumilhac) du retour à la stricte pureté du chant originel. D'autre part, le même Nivers fut compositeur de remarquables Motets, ce genre propre à la rhétorique du chant sacré qui, en France, fait face à l'opéra. Semblable érudition, dans sa grande clarté, conduit à une compréhension en profondeur d'un ordre classique parvenu à son sommet. L’épistémè ici dominante est incontestablement cartésienne (et saint Augustin, invoqué en permanence, s'y trouve intégré non sans rude fermeté). Le dualisme de l'intérieur et de l'extérieur est sans cesse réaffirmé et le rôle majeur de la voix est précisément celui de medium apte à « régler le dehors et le dedans ». D'où l'insistance sur la voix comme conduite, sur la notion d'ethos vocal, sur la rhétorique indivisible du geste et de la voix, bref, sur la « dimension comportementale engagée dans l'art du chant » (p. 381). Et si la voix est ainsi « indice majeur de comportement », on mesure alors toute l'importance de la « régulation vocale », indispensable pour atteindre au « langage d'un chrétien priant » (Le Cerf, cité p. 358), véritable basse fondamentale pour ce que J.-B. de la Salle nommait la « bienséance et… civilité chrétienne» (p. 288). La catégorie majeure ici, dominante dans cette culture, apparaît bien être celle de cérémonial, à savoir cet art de disposer le corps et l'assemblée selon une règle par elle-même uniment « dévote » et esthétique. Avec cet accent mis sur la voix dans sa dimension rhétorique et comportementale, sans doute se trouve-t-on dans une climatique assez différente de celle, prégnante dans la tradition luthérienne, d'une expérience dialogale de la voix, si caractéristique de la musique de Schütz à Bach et jusqu'à Schoenberg. Ici et là, la fides ex auditu ne serait-elle pas « entendue » de la même oreille ?